On dirait une enquête policière digne de Sherlock Holmes. Qui est l'assassin qui a mis le feu aux poudres dans l'entrepôt numéro 12 du port de Beyrouth dans l'après-midi du 4 août 2020 ? Une commission d'enquête a été constituée, Elle est présidée par la ministre de la Justice et composée d'officiers appartenant aux différents services sécuritaires. Le Procureur de la République mène l'enquête judiciaire de son côté. Deux hypothèses sont évoquées :
1. L'explosion accidentelle de 2750 tonnes de nitrate d'ammonium stockées dans l'entrepôt numéro 12 depuis 2013, date de la saisie par les autorités douanières libanaises d'une cargaison envoyée de Géorgie vers le Mozambique à bord d'un navire battant pavillon moldave. Pourquoi ce stock est-il resté pendant 6 ans au port de Beyrouth sans être réacheminé, sachant que l'armée libanaise, quand elle importe ses munitions, a la sagesse de les sortir tout de suite de l'enceinte du port pour les stocker loin de Beyrouth, et sachant que la direction du port ne laisse jamais des marchandises abandonnées dormir dans ses entrepôts et procède dans les six mois soit à leur destruction soit à leur vente aux enchères... Pourquoi les autorités ont-elles fermé les yeux sur la présence dangereuse de cette matière, véritable bombe à retardement, à quelques mètres des quartiers résidentiels de Beyrouth ? Pourquoi le juge des référés est-il resté inactif ? Qui a puisé dans ce stock, sachant que trois cellules terroristes du Hezbollah arrêtées en 2015 à Chypre, au Koweit et en Angleterre détenaient une quantité de nitrate ? Est-il exclu que la saisie de ce navire après son abandon par ses propriétaires et le désistement suspect de la compagnie destinatrice soient un coup monté pour permettre au Hezbollah de se l'approprier indirectement en contournant les embargos et la réglementation internationale très stricte en la matière ? Sachant que le nitrate, selon des experts, n'explose pas sans entrer en contact avec une autre substance, d'où est venue cette matière ? S'agirait-il d'explosifs stockés dans des entrepôts voisins par le Hezbollah qui s'est toujours baladé dans le port en toute liberté ? Certains responsables, dont un officier et le ministre de l'Intérieur, parlent d'un entrepôt contigu contenant des "feux d'artifice", or la chaîne libanaise MTV affirme que les importateurs de ce genre de marchandises ne les stockent pas au port mais les distribuent sans tarder. Enfin, la mort suspecte de l'officier Joseph Sarkis qui avait protesté le 24 février 2014 contre la présence du nitrate serait-elle liée à son initiative ? Autant de questions à élucider !
2. La seconde hypothèse est celle qui a été évoquée dans un premier temps par le président Donald Trump qui, citant ses généraux, parle d'une "attaque". Sans entrer dans les théories du complot, deux éléments pourraient corroborer cette version : des dizaines de Libanais affirment avoir entendu les vrombissements d'avions ou de drones, vraisemblablement israéliens, au-dessus de Beyrouth juste au moment de l'explosion. Le 4 août, Israël aurait violé, comme chaque jour, l'espace aérien libanais 22 fois. En outre, des experts affirment que le champignon rouge observé ne peut être la conséquence de la combustion du seul nitrate d'ammonium. S'agit-il donc d'un raid aérien ciblé contre le dépôt numéro 9 (où le Hezbollah stockerait un arsenal) qui aurait pris des proportions inattendues du fait de la présence du stock de nitrate dans l'entrepôt voisin ? Ou l'aviation israélienne a-t-elle sciemment visé tout le périmètre sans se soucier des lignes rouges et des dommages collatéraux ? Dans cette hypothèse, pourquoi ni le Hezb ni Israël n'a reconnu l'existence d'un raid, le premier pour justifier des représailles, le second pour démontrer l'ampleur de sa force de frappe, qui se manifeste déjà en Syrie, en Irak et au coeur même de l'Iran, surtout à l'approche des élections ? Pourquoi ce blackout mutuel ? Est-ce parce que le Hezbollah - déjà critiqué par la majorité des Libanais qui, avec le patriarche maronite, plaident pour la neutralité du Liban et réclament que l'armée soit seule en charge de la sécurité du pays- ne veut pas avouer qu'il stockait des armes et des explosifs au milieu de la population ? Surpris par l'ampleur des dégâts, Israël aurait-il préféré faire profil bas et prendre l'initiative de manifester sa solidarité avec les victimes libanaises en proposant son aide à l'Etat libanais, comme pour montrer patte blanche ?
On le voit : le problème est complexe et met en jeu peut-être des intérêts régionaux. Comme au lendemain du 11 Septembre, les spéculations vont bon train, alimentées par les fake news.
La justice libanaise devra trancher en toute indépendance. Elle devra impérativement faire appel à des experts français ou des Nations-Unies pour éviter que les rapports officiels ne soient tronqués ou maquillés. L'existence de citoyens français ou de binationaux parmi les victimes justifient que la France exige une enquête indépendante et fiable. Sur le plan interne, qu'il s'agisse de négligence criminelle ou de complicité, il faut que tous les hauts responsables libanais soient révoqués et sanctionnés. Avant d'être lynchés par une population désormais déchaînée.
Alexandre Najjar